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Les veilleurs du vieux Louet

 Le long du vieux Louet se déploie une allée de peupliers noirs et de frênes. Leurs écorces épaisses, rugueuses, parsemées de broussins, largement fissurées, s’ouvrent comme un livre mémoire.

Immobiles dans le froid de l’hiver, étang glacé, au printemps, graines cotonneuses et langues d’oiseau s’envolent. Les abeilles dansent autour de la résine collante des bourgeons.

Dans leur travail nocturne les larves du cossus gâte bois tracent leur alphabet.

Tout proche, les arbres de la ripisylve rêvent d’estuaire. Arbre et algue mêlés. Racines dans le murmure du courant, frondaisons traversées de vents nomades.

Il me plait ici, de penser à quelque batelier, jadis, remontant le fleuve, une poignée de graines d’outre Loire au fond des poches. Séquoia, cyprès, cèdre, ginkgo… Enracinements métissés dans une terre accueillante.

Le papier est une écorce où les méandres de l’espace s’ouvrent. Les fibres végétales se déplient, se déploient, se déposent. Multiples peaux tissées, c’est dans la fluidité que se forme la feuille. Ecailles, écorces, cortex de nos forêts profondes, corps de nos forêts premières où nous habitions la terre.

En filigrane ici, l’irrigation et le flux d’une résonance, d’une mémoire longue.

En filigrane, les territoires mouvants, la projection d’une image qui se tire, s’étire.

Surface écrue éphémère.

Alors que, travaillant à ce projet, réalisant moulages, empreintes et papiers, au contact, au plus près de ces cépées vénérables, je découvris ce texte du peintre Atlan ;

 « Arbre

   Héros nocturne et

   Borgne

   Arbre chargé d’écorces, chargé de signes

   Lourd de sens et d’oracle et de sève et de pluie

   Qui surgis somnolent de la matière …" 

 

 Dominique ROUSSEAU - été 2010