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Préface de Kenneth White au catalogue de l’exposition « Lignes du monde » – Muséum des sciences naturelles d’Angers – mars avril 2006

On dit en France que le XVIII è siècle n’était pas « poétique ».

Tout dépend de ce que l’on entend par « poétique ». Si par ce terme on entend seulement états d’âme, sentimentalité, phantasmes, alors, effectivement, on peut dire que, vu superficiellement, le siècle des Lumières n’avait rien de « poétique ».

Mais si, par contre, on regarde de près les écrits de certains grands esprits de ce siècle, on constate très vite qu’une autre poétique était en train de chercher ses contours, sa configuration.

Dans ma bibliothèque j’ai les œuvres complètes d’un certain nombre de naturalistes français de l’époque, ouvrages concernant la théorie de la terre, l’histoire naturelle des minéraux, des animaux, des hommes et des oiseaux.

Du côté du Jardin des plantes et du premier Muséum d’histoire naturelle, quelque chose d’énorme était en train de se passer.

Pour s’approcher de ce « quelque chose », il suffit de se plonger dans les textes de ces grands fondateurs.

Voici Cuvier, dans son éloge de Daubenton, celui qui fit du simple cabinet de curiosités que fut avant lui le Muséum d’histoire naturelle « un livre très beau et très instructif, puisque c’est presque celui de la nature », non seulement en rassemblant « minéraux, fruits, bois, coquillages » du monde entier, mais en trouvant pour ces matériaux le plus bel ordonnancement possible.

Voici Buffon : « Pourquoi les ouvrages de la nature sont-ils si parfaits ? C’est que chaque ouvrage est un tout, et qu’elle travaille sur un plan éternel dont elle ne s’écarte jamais ; elle prépare en silence les germes de ses productions ; elle ébauche par un acte unique la forme primitive de tout être vivant ; elle la développe, elle la perfectionne par un mouvement continu et dans un temps prescrit. »

Vicq d’Azyr, pour sa part, parle de « l’heureux accord qui doit régner entre les sciences et les arts ».

C’est dans ce grand contexte qu’il faut situer le travail de Dominique Rousseau.

Dominique Rousseau ne « crée » pas — il fait mieux que cela (tant de « créateurs » qui ne font qu’encombrer le monde !). Rousseau a un œil pour voir. À partir d’une contemplation sensible d’écorces, de coraux, de coquillages, de gorgones, de carapaces, d’os, de crânes, il imagine des ensembles nouveaux. Dans une riche pâte de papier qu’il fabrique lui-même avec, par exemple, des feuilles de bananier ou de chanvre, il fait des empreintes, il imprime les lignes de la Terre, les colorant d’encres de gravure diverses. Le résultat en est toute une cartographie, toute une série de territoires et de continents.

Réfléchissant aux similitudes qui existent entre les flores et les faunes de terres aujourd’hui isolées telles que l’Inde péninsulaire, l’Afrique du Sud, l’Amérique du Sud et l’Australie, le géographe Édouard Suess a posé l’existence hypothétique d’un continent uni et unique auquel il a donné le nom de Gondwana. L’art de Dominique Rousseau est une sorte de Gondwana esthétique, qui réunit les divers éléments à la fois matériels (rugosités, fibrosités, motifs) et immatériels (sensations, atmosphères, idées embryonnaires) qu’il a recueillis à travers le monde. Cet art offre à la fois une jouissance immédiate pour les yeux et un terrain propice à une méditation sur les formes et les métamorphoses des choses de la Terre.

Si l’on peut parler, et on le peut, d’art géopoétique (dont un des principes de base est justement de « suivre les lignes du monde »), je n’hésite pas à dire que Dominique Rousseau en est actuellement un de ses représentants les plus intéressants et les plus accomplis.

Ayant essayé de dire le contexte dans lequel se situe l’art de Rousseau et indiqué dans quel esprit il faut l’aborder (si l’œil est le mécanisme de la vision, c’est en fin de compte par l’esprit que l’on voit), je laisse au spectateur le plaisir de parcourir cette série de merveilleuses images et de suivre dans le sillage de l’artiste les lignes du monde premier qu’elles révèlent.

Kenneth WHITE
Écrivain
Président-fondateur de l’Institut international de géopoétique

Preface

It is commonly said in France that the eighteenth century was not « poetic ».

It all depends on what one means by « poetic ». If what is meant is soul-states, sentimentality, fantasia, then, indeed, one can say that the Age of Reason was not « poetic ».

But if, on the other hand, one looks more closely into the writings of some of the best minds of this century, it becomes easy to see that in their work, another kind of poetics was looking for its contours, its configuration.

I have in my library the complete works of some of the French naturalists of those times, works concerning the theory of the earth and the natural history of minerals, animals, humans and birds.

In the botanical gardens and in the first museum of natural history in Paris, something enormous was going on.

To get some idea of this « something », all one needs to do is plunge into the texts of those great founders.

Here’s Cuvier, praising Daubenton for turning the « cabinet of curiosities » that was to become the Museum of Natural History into « a most beautiful and most instructive book, since it is almost the book of nature », not only by gathering together in one place all manners of « minerals, fruits, woods and shells from all round the world », but for laying out these materials in the best possible system of organization.

Here’s Buffon : « Why are the works of nature so perfect ? It’s because each work constitutes a whole in itself. And if this is so, it’s because nature works according to an eternal plan from which it never deviates. It’s in silence that Nature prepares the seeds of her productions, then she sketches in one unique gesture the primitive forms of all living beings. She develops and perfects those forms in a continuous movement and in a prescribed time. »

Here, for his part, is Vicq d’Azyr speaking about « the happy concordance that ought to exist between the sciences and the arts. »

It’s in this extended context that the work of Dominique Rousseau has to be seen.

In a real sense, Dominique Rousseau doesn’t « create ». He does a lot better than that (I have little patience with all those « creators » who litter the world with their productions). Rousseau has an eye for seeing things. On the basis of a sensitive contemplation of, say, tree bark, coral, shells, sea-fans, bones, skulls, hides and skins, he works out new ways of bringing their forms together. In a rich paper paste that he makes himself from banana leaves or hemp, he implants prints and colours them with various inks. The result of the coming together of all these « lines of the earth » is a kind of cartography, a whole series of territories and continents.

Reflecting on the remarkable similarities between the flora and fauna of lands isolated today such as peninsular India, South Africa, South America and Australia, the geographer Edward Suess advanced the hypothesis of one single continent that he named Gondwana. The art of Dominique Rousseau is a kind of aesthetic Gondwana that brings together into one unity the multiplicity of elements either material (patterns, roughnesses, fibrosities) or immaterial (sensations, atmospheres, embryonic ideas) he has gathered from around the world. This art provides immediate pleasure for the eyes as well as a terrain for meditation on the forms and metamorphoses of the things of the earth.

If one can speak, and one can, of geopoetic art (one of its basic principles being to « follow the lines of the world »), I have no hesitation in saying that Dominique Rousseau is at this moment one of its most interesting and accomplished practitioners.

Having tried to delineate the context in which Rousseau’s art is situated and indicated the state of mind in which it has to be approached (if the eye is the mechanism of vision, it’s with the mind that one sees), I leave the spectator to the pleasure of perusing those marvellous images and following in the artist’s wake the lines of the primal world that they reveal.

Kenneth WHITE
Poet and writer
Founder-president of the International Institute of Geopoetics.

Prefácio

Dizemos na França que o século XVIII não era « poético ». Tudo depende do que nós entendemos por « poético ». Se com este vocábulo, entendermos somente sensibilidade, sentimentalismo e fantasmas, então podemos dizer realmente que, visto superficialmente, o Século das Luzes não tinha nada de « poético ».

Mas se, ao contrário, olharmos de perto as obras de alguns dos grandes homens desse século, constatamos em breve que uma outra poética estava procurando a sua expressão, a sua configuração.

Tenho em minha biblioteca as obras inteiras de vários naturalistas franceses dessa época : livros sobre a teoria da terra, a história natural dos minerais, dos animais, dos homens e dos pássaros.

Alguma coisa de extraordinário estava acontecendo no « Jardin des plantes » (jardim botânico) e no primeiro Museu de história natural de Paris.

Para podermos nos aproximar desta « coisa », basta mergulharmos nos textos desses grandes fundadores.

Eis Cuvier, por exemplo, tendo elogiado Daubenton, que transformou o simples « gabinete de curiosidades », ou seja, o Museu de história natural, « em um livro muito bonito e instrutivo, porque é praticamente o livro da natureza », não somente juntando « minerais, frutas, madeira e conchas » do mundo inteiro, mas também reunindo-os na mais bela harmonia que existe.

Já dizia Buffon : « Porque as obras da natureza são tão perfeitas ? Por que cada obra é uma totalidade, e por que a natureza trabalha num plano infinito do qual ela nunca se desliga ; ela prepara em silêncio as sementes das suas produções ; ela esboça, em um único ato, a forma primitiva de todo ser vivo ; ela a desenvolve, a aperfeiçoa em um movimento contínuo e em um tempo determinado. »

Quanto a Vicq d’Azyr, ele fala sobre « a perfeita harmonia que deve reinar entre as ciências e as artes ».

E é nesse grande contexto que devemos situar o trabalho de Dominique Rousseau.

Dominique Rousseau não só « cria », ele faz melhor do que isso (com tantos criadores que só entulham o mundo !). Rousseau tem olhos para ver. A partir de uma sensível contemplação de cascas, corais, conchas, gorgónias, carapaças, ossos e crânios, ele imagina novos conjuntos. É com uma rica massa de papel, fabricada por ele mesmo como por exemplo fibras de bananeira ou de cânhamo,que ele faz impressões, imprime as linhas da Terra, colorindo-as com diversas tintas para gravura. O resultado é toda uma cartografia, uma série de territórios e continentes.

Refletindo nas semelhanças que existem entre as floras e as faunas de terras hoje isoladas, como a península da Índia, a África do Sul, a América do Sul e a Austrália, o geógrafo Édouard Suess supôs a existência hipotética de um continente unido e únido que ele chamou Gondwana. A arte de Dominique Rousseau é um gênero de Gondwana estética, que reune diversos elementos, tanto materiais (rugosidades, fibras, estampas), como imateriais (sensações, ambientes, idéias embrionárias) que por ele recolhidos no mundo inteiro. Esta arte oferece ao mesmo tempo uma gozação imediata para os olhos e um terreno propício à uma meditação sobre as formas e as metamorfoses das coisas da Terra

Se pudermos falar, e podemos sim, de arte geopoética (cujo um dos princípios de base é justamente de « seguir as linhas do mundo »), não hesito em dizer que Dominique Rousseau é atualmente um dos representantes mais interessante e realizado dessa arte.

Tendo expressado o contexto sobre o qual a arte de Rousseau se situa, e indicado em que estado de alma abordá-la (mesmo sendo o olho o mecanismo da visão, finalmente é com o espírito que se vê), deixarei ao espectador o prazer de percorrer esta série de imagens maravilhosas e de seguir, na trilha do artista, as linhas do mundo inicial que elas revelam.

Kenneth WHITE
Escritor
Presidente-fundador do Institute internacional de geopoética
Dominique Duboux pour la traduction.